NOTRE PASSÉ JUDÉO-CHRÉTIEN
Les nouveaux curés et les nouvelles prêtresses de la pensée
correcte de notre Québec n’en finissent pas de blâmer l’abominable Église
catholique pour tout ce qui est croche dans notre petit monde québécois.
Notre côté bougon, quétaine, « grand parleux-p’tit faiseux » ;
notre méfiance maladive à l’égard des riches et notre rapport trouble au sexe et
au progrès, tout cela nous viendrait de ce passé judéo-chrétien que l’Église,
la mère de tous les maux, nous aurait vissé
dans les os et planté entre les deux oreilles pour les siècles des siècles.
C’est en mettre gros sur le dos de l’Église. Il me semble
que le défrichage d’un pays extrêmement rude et notre soumission forcée à un conquérant
riche et méprisant (pourtant aussi judéo-chrétien que nous), nous ont cassé les
reins autrement plus sûrement que les commandements de Dieu et de l’Église.
Quand du haut de la chaire l’Église martelait que l’argent était
la source de tous les maux et ne devait pas être traité comme un dieu, elle n’abusait
pas; elle ne faisait que dénoncer ce qui crevait les yeux. Hier comme
aujourd’hui.
L’Église, en effet, en raison de son grand âge, a été pendant
des siècles le témoin de beaucoup d’horreurs causées par la puissance de
l’argent. Partout à travers le monde, ses yeux ont vu les riches s’entretuer pour
s’arracher les biens des plus faibles. Elle a vu d’innombrables peuples se faire
écraser, exploiter, sacrifier par la rapacité des maîtres de l’argent. Cette horreur,
elle l’a vécue à chaque instant de son histoire ; parfois elle en a été la complice, mais plus souvent,
la première victime.
Malgré tout, alors que les gratte-ciel en or des ultra-riches
poussaient allègrement au milieu des ruines, l’Église a probablement été la seule institution au monde
à prendre à cœur le sort des pauvres. Aux quatre coins de la Terre, elle s’est engagée dans les sentiers boueux de la
misère humaine, elle a pansé les plaies des plus malheureux et fait naître des légions
à leur humanité. Sa vie a été un accouchement perpétuel dans les larmes et le
sang, le plus souvent dans l’héroïsme et l’obscurité, et malgré tout, dans la
joie. Et aussi dans la contradiction, bien sûr.
Car les choses étant comme elles sont, alors qu’elle prenait la défense des pauvres, l’Église
a souvent protégé les riches. Elle a fait cela d’abord et avant tout pour avoir
le simple droit d’exister, et, par la suite, pour pouvoir bâtir églises,
écoles, hôpitaux, - palais même ! -, et missionner dans le monde
entier. Tout récemment, dans certaines
instances de haut niveau, il lui est encore
arrivé, sous le couvert de la piété, de se prêter à des manœuvres qui sont un
affront à l’Évangile… Et malgré cela (ou peut-être justement à cause de
cela), l’Église a toujours cru bon de ne pas bénir l’Argent.
De quel argent s’agit-il? Sûrement, pas de l’argent propre.
La Bible des Juifs, que les chrétiens appellent Ancien Testament, fait sans réserve l’éloge de la richesse qui n’est
pas le fruit de la ruse, de la force et du
mensonge. Si quelqu’un devient riche par des moyens honnêtes, s’il s’enrichit
sans tromper, sans humilier, sans soudoyer, sans exploiter, sans écraser et
sans tuer, sa richesse est une bénédiction de Dieu. Cette richesse, toutefois, est
plutôt rare…
Par contre, il existe, comme on sait, un argent sale.
Un argent répugnant qui règne bel et bien sur le monde en dieu tout-puissant. Cet
argent vient de l’évasion fiscale, de la drogue, de la contrebande, de la vente
des humains, du très juteux commerce des armes, du crime érigé en business,
ainsi que de la politique qui fait bon ménage avec les grands lobbies. Cette
richesse sale naît de la corruption, de l’extorsion et de la fraude ; elle
vient des prêts usuraires à haute échelle ; elle vient de l’exploitation
systématique de multitudes sans défense ;
elle vient de la terreur et des guerres ; bref, elle vient de toutes les injustices, petites
et grandes, qui se commettent sous le soleil. Pour les plus riches elle
signifie « progrès », pour l’humanité et pour notre planète elle
est la plus puissante machine de destruction massive qui n’ait jamais été
inventée. Elle dégouline de sang. Elle est la grande malédiction du monde.
Par le passé, des pays sont devenus des puissances géantes à force d'accaparer les terres, la force de
travail et l’âme de nombreuses contrées, en échange de fusils, d’alcool et de
verroteries de couleurs. Aujourd'hui encore, une belle racaille aux dents blanches
et à la perruque blonde ne cesse de sillonner le monde dans des flottes de
supersoniques pour nous offrir de la pacotille, de l’opium et des bombes en
échange de notre liberté, de notre humanité et de la santé de notre petite
planète bleue. Ne pas livrer son âme à
ces « bons investisseurs », est-ce que ce n’est pas, en vérité, un
signe d’intelligence ? Est-ce être « épais », petit et colonisé,
et avoir le cerveau déformé par nos racines judéo-chrétiennes que de croire que
tout ce qui brille n’est pas or?
Par ailleurs, l’argent propre - il doit bien y en avoir
quelque part -, l’argent du génie, du
travail créateur et de l’honnêteté, cet argent qui sert à faire grandir les
humains et à étendre la justice dans le monde, celui-là est béni de Dieu. Il
est estimé non seulement par les femmes et les hommes éclairés par les prophètes et par Jésus de Nazareth, mais par tous les humains, croyants ou pas, qui ont des yeux
pour voir, des oreilles pour entendre, un brin de sagesse, et un peu de cœur au ventre.
Eloy
Roy
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